mercredi 7 février 2007

Attention au péril jaune, quand la Chine s’éveillera … (tralala)

Depuis deux ou trois ans maintenant tous les regards sont tournés vers la Chine et l’Empire du Milieu nourrit tous les fantasmes. Nous avons oublié que jusqu’au 19ème siècle la Chine était la première puissance économique du monde. Aujourd’hui Pékin pour soutenir sa formidable croissance économique doit, comme tous les états industrialisés (U.E., USA, Japon …) chercher en permanence de nouveaux marchés.

  1. "L'hôpital Chinois"
  2. Coopération et transmission de savoir
  3. Evolution des questions sanitaires
  4. La stratégie chinoise

Dans son livre, « L’Empire et les Nouveaux Barbares » Jean-Christophe Rufin (1), au début des années quatre-vingt-dix, nous parlait entre autres des territoires d’Afrique, abandonnés par les industriels occidentaux et par les ONG caritatives, en passe de devenir de nouvelles « terra incognita » sur nos cartes de géographie, c’était peut-être un peu vite oublier la Chine. En effet si, sur toute une série de produits, la Chine et l’Occident se rencontrent et se combattent pour conquérir ou conserver des marchés. Les industriels chinois et leur gouvernement en cherchant des espaces commerciaux non saturés ou non monopolisés par les entreprises des pays occidentaux, se sont tout naturellement tournés vers l’Afrique, désertée par les anciens pays coloniaux. Et maintenant nous découvrons que l’Afrique roule en motos chinoises, que l’Afrique consomme chinois.


"L'hôpital Chinois"

À Kara dans le Nord du Togo, au Centre Hospitalier Régional (CHR) de Kara-Tomdé, aussi appelé « l’hôpital chinois », la coopération chinoise est une réalité depuis plus de 30 ans. Des équipes de médecins viennent de Chine par rotation de deux ans. Le chef de la délégation chinoise, GUO Yuanchao, spécialiste en chirurgie abdominale, explique qu’ils sont la 16ème équipe en poste à Kara. Toute la journée ils reçoivent des patients, souvent à des stades de pathologie très avancés. Le docteur GUO montre ainsi la photo, avant et après opération, d’un jeune homme d’une vingtaine d’années atteint d’un goitre particulièrement disproportionné. Il nous dit que c’est ce genre de cas qui fait son quotidien. Colette KOKOA, responsable de la coopérative des handicapés de Niamtougou (CODHANI) confirme et explique que l’on va à l’hôpital en dernier ressort. D’abord, les malades vont consulter les marabouts et les guérisseurs traditionnels, puis ils vont essayer de prendre des médicaments par eux-mêmes (automédication) à la pharmacie (allopathie occidentale ou pharmacopée chinoise – nous reviendrons là-dessus plus loin) et c’est seulement après tout cela que l’on commence à envisager de se rendre à l’hôpital. Il est vrai que malgré le coût réduit et le service social, avec étalement des remboursements des frais médicaux (unique au Togo), même « l’hôpital chinois » reste cher pour la plus grande partie de la population.

Le service social du CHR de Kara c’est l’initiative de monsieur ADOM’AKO YAO BILANALS, le directeur de l’hôpital. En poste depuis une douzaine d’années, il espère pouvoir moderniser son hôpital, introduire des méthodes de gestion hospitalière moderne, telles qu’on les enseigne en Europe. Mais il se heurte encore à son conseil d’administration rétif à ces changements. S’il a pu mettre en place son service social, dans un pays qui ne connaît pas la « sécurité sociale », c’est parce qu’il a su démontrer que l’introduction de facilités de paiement pouvait, à terme, augmenter la rentabilité de l’hôpital, car permettant à tout un ensemble de personnes aux revenus très faibles de pouvoir malgré tout honorer les honoraires médicaux pour les soins reçus.

Coopération et transmission de savoir

En ce qui concerne la présence des Chinois, Monsieur ADOM’AKO YAO porte un regard lucide et tout en nuances, il sait que la coopération chinoise est entièrement liée à la conclusion de contrats pour l’importation de produits manufacturés par les industriels de Chine. Mais comment se passer de ces médecins, de leurs médicaments, en moyennes 15% moins chers que ceux produits par les grandes firmes occidentales et tout aussi efficaces ?

La délégation chinoise se compose d’une dizaine de médecins accompagnés d’une seule interprète qui court entre les différentes demandes de traduction. Traumatologie, ophtalmologie, etc. les différentes spécialisations représentées à Kara ne sont pas toutes de même niveau de qualité. Le directeur du CHR estime à ce jour que si la collaboration avec le chirurgien spécialisé en traumatologie est bonne, il n’en va pas de même dans toutes les autres disciplines. De même au niveau du transfert de compétence cela dépend beaucoup de la bonne volonté des praticiens, si la transmission est bonne dans le service de traumatologie, elle l’est semble-t-il beaucoup moins pour le service d’ophtalmologie par exemple. Comme en gynécologie où problèmes de traduction obligent, deux traducteurs doivent parfois être présents simultanément lors des consultations. Un premier traducteur traduit en français pour les personnes ne parlant que leur langue locale, comme le Kabyé, un second est alors nécessaire pour traduire du français vers le chinois. Cette multiplication des intermédiaires n’est guère propice à l’établissement d’un climat de confiance indispensable à une bonne consultation. Le directeur du CHR constate aussi que les termes de la coopération semblent avoir évolué ces dernières années vers une plus forte intégration avec le monde de l’économie. C'est-à-dire que l’hôpital qui disposait de facilités pour l’entretien du matériel technique doit maintenant passer par des contrats de maintenance auprès de firmes privées chinoises, alors que précédemment cela faisait partie du « package » de la coopération sino-togolaise.

En ce qui concerne l’équipe chinoise, ils avouent que leurs deux années d’expérience en Afrique ne sont pas valorisées. De retour en Chine ils devront même reprendre des stages pour se remettre à niveau. Même si pour les médecins leur séjour en Afrique représente une forte expérience personnelle, confrontés à des pathologies très variées présentant des stades de gravité très divers. Seul Cai Hong, l’interprète, pourra un peu faire valoir ses deux années d’expérience dans un pays francophone. Ils admettent aussi assez facilement que pour la motivation c’est l’Etat chinois qui leur demande ses deux ans de coopération, même si la situation sanitaire souvent dramatique ici ne les laisse pas indifférents. En théorie chaque membre de l’équipe a droit à un mois de congé par année passée au Togo. Mais en pratique ils ne prennent pas ces vacances préférant les capitaliser pour la fin de leur séjour et pouvoir ainsi avoir deux mois pour peut-être voyager avec leur famille, enfin retrouvée. En effet, les coopérants chinois viennent seuls en Afrique, il ne garde contact avec leur famille restée au pays que grâce à internet pour l’essentiel.

L’horaire de travail des Chinois leur impose cinq heures de travail par jour à l’hôpital : le matin de 8 heures à 11 heures 30 et l’après-midi de 15 heures à 16 heures 30. Pour monsieur ADOM’AKO YAO cet horaire imposé ne convient pas à un nombre important de patients qui viennent de loin et qui arrivent trop tard pour la consultation du matin, alors que la consultation de l’après-midi est trop tardive pour leur permettre de rentrer dans leurs villages. Une situation qui les oblige à devoir trouver un logement pour une nuit au moins, alors que les frais engagés pour se rendre à l’hôpital sont déjà importants pour eux. Il a pu obtenir récemment, en concertation avec le chef de l’équipe chinoise, de regrouper toutes les heures le matin entre 7 heures et midi. Il reste à se demander pourquoi ne travaillent-ils que cinq heures par jour et que font-ils le reste de la journée ? Selon monsieur ADMO’AKO, ils restent confinés dans leurs hôtels, sans marquer le moindre intérêt pour la vie de la ville où ils résident. Ils ne s’intéressent pas, non plus, aux pratiques des marabouts et des guérisseurs traditionnels, ni à leur pharmacopée. Toutefois, ce dernier point peut être mis en relation avec le fait que leur expérience de la médecine traditionnelle africaine se résume à des patients mal soignés arrivant en désespoir de cause à l’hôpital.

Tous les Chinois de la coopération avec l’Afrique sont toujours payés en RMB (devise chinoise) sur leur compte en Chine. Leur salaire reste le même que celui qu’ils percevaient en Chine, augmenté seulement d’une petite prime pour l’éloignement. Une petite partie de leur salaire est toutefois convertie en dollars pour couvrir les menues dépenses qu’ils pourraient avoir durant leur séjour. Il faut encore savoir que si la Chine paye les salaires de ses médecins, leurs billets d’avion ainsi que tous les frais relatifs à leur séjour sont à charge de l’Etat togolais qui leur paye les meilleurs hôtels disponibles. C’est, à demi-mot, que monsieur ADOM’AKO tire le constat que la coopération chinoise coûte de plus en plus cher à l’Etat togolais et au CHR, même si tout le matériel et les médicaments viennent directement de Chine.


Aujourd’hui avec l’arrêt officiel de coopération entre l’Union Européenne et la mise à l’index du Togo par la communauté internationale, ayant pour conséquence un effondrement du tourisme, les Chinois sont plus présents que les Occidentaux et dans des secteurs de l’économie et de la coopération de plus en plus vastes. En témoigne ainsi monsieur D’Almeida, directeur du centre de transmission du pic d’Agou dans le district de Kloto, dont les installations vétustes devraient être très prochainement remplacées par une firme chinoise, nous dit-il. Alors qu’antérieurement c’était les Français puis les Italiens qui avaient fourni les équipements de retransmission dans le cadre de leurs programmes de coopération.

Evolution des questions sanitaires

CODHANI est l’exemple type des conséquences du retrait européen en matière de coopération. C’est une petite coopérative qui offre un travail rémunéré à des personnes présentant toute sorte de handicaps physiques. Pour survivre, la coopérative organise la vente de ses produits, principalement des batiks à destination des touristes. Le solde budgétaire étant couvert grâce au soutien du DED (Deutscher Entwicklungsdienst : la coopération allemande). D’une part, la mise à l’index du pays a fait fuir la très grande majorité des touristes, avec pour conséquence l’effondrement des ventes des produits de la coopérative. D’autre part, La DED suivant les directives européennes a suspendu ses subventions. Conséquence, les ventes qui pouvaient atteindre un million de CFA par mois plafonnent difficilement aujourd’hui autour de 500.000 CFA, alors que l’équilibre budgétaire de la coopérative nécessite près de 34 millions de CFA par an. Pour une petite coopérative comme CODHANI, la situation actuelle signifie à plus ou moins court terme la faillite, privant du même coup ses 51 membres coopérateurs handicapés de leur seule source de revenus. D’autre part avec la responsable Colette KOK OA et un jeune opticien du CHR, on peut constater certaines évolutions dans les pathologies handicapantes. Ainsi, si la poliomyélite semble en baisse, grâce entre autres aux campagnes de vaccinations proactives (se rendant directement dans les villages), ils constatent, a contrario, une évolution inquiétante de toute une série de maladies liées aux yeux, entraînant des cécités partielles ou totales. Deux phénomènes semblent aujourd’hui liés à cette évolution. D’une part des cataractes liées à l’absence de protection anti-UV pour les yeux et d’autre part des pathologies liées au diabète des parents. Par ailleurs malgré les campagnes de vaccinations gratuites organisées par les grosses ONG internationales (OMS, Unicef…) l’utilité de la vaccination est encore largement ignorée par les parents dans les campagnes. Il est vrai aussi, comme à l’hôpital de Baga, que les campagnes de consultation en ophtalmologie tournent au ralenti depuis la mort du père Eyadema (l’ancien président) et les événements ayant entouré les élections de l’été 2005.

La stratégie chinoise


Une des stratégies chinoises consiste à proposer leur coopération et d’envoyer leurs coopérants là où les occidentaux s’en vont, comme au Burundi, au Rwanda, en Algérie ou à Djibouti. Au total, la Chine a des programmes de coopération médicale, pour ne parler que des médecins, avec 44 pays d’Afrique soit plus de 2000 médecins envoyés par Pékin. Une autre stratégie consiste, elle, à proposer des produits manufacturés moins cher que les firmes européennes à des populations qui de toute façon n’ont pas les moyens de se payer des produits de marques… c’est ainsi qu’à côté des motos, des climatiseurs et des autres produits issus de l’industrie chinoise, la Chine est aussi présente au Togo via sa pharmacopée. Un peu partout dans le pays, on peut croiser des pharmacies tenues par des Chinois qui proposent un large éventail de la production de la pharmacologie chinoise. Ces enseignes, selon Cai Hong, sont installées à titre privé. Les produits proposés sont directement importés des grands laboratoires chinois, ce qui constitue leur seule garantie de qualité. Aucune étude ou contrôle n’existe pour ces pharmacies, ni semble-t-il de la part des autorités togolaises, ni de la part du gouvernement chinois.

Les liens entre coopération humanitaire, raison d’état et réalisme économique ont toujours prévalus dans les politiques des pays industrialisés envers l’Afrique. Faut-il s’étonner qu’aujourd’hui la Chine fasse de même ? La difficulté est d’admettre que la chine n’est peut-être pas un pays en développement et qu’il est tant de regarder les relations extérieures de la Chine comme nous examinons les politiques extérieures des autres pays industrialisés.


(1)Jean-Christophe Rufin ; L'empire et les nouveaux barbares ; J.-Cl. Lattès, 1991

Photos: Pierre Capoue - Chine 2004
Photos: Pierre Capoue - Togo 2006

Juin 2006 - Pierre Capoue

2 commentaires:

Pierre Capoue a dit…

L’article original à été écrit en juin 2006… Malheureusement je n’ai pas trouvé de journaux preneurs pour ce genre d’article en Belgique. Je vous le propose donc librement sur le blog en espérant qu’il vous plaise.

Depuis lors il semblerait que l’intérêt pour la politique chinoise en Afrique ai évoluée je vous propose donc quelques liens complémentaire sur le sujet :

Article du Quotidien du peuple: http://french.peopledaily.com.cn/International/5378612.html

Jeune Afrique.com:
http://www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_depeche.asp?art_cle=XIN00917durizeuqirf0

French.xinhuanet.com:
http://www.french.xinhuanet.com/french/2007-02/07/content_385762.htm

Le Monde:
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3216,36-862912@51-861654,0.html

P.C.

Pierre Capoue a dit…

voir aussi :
http://socio13.wordpress.com/2009/05/18/la-chine-s%E2%80%99eveillera-%E2%80%A6-tralalapar-pierre-capoue/